Claude Blacque Belair

Posts Tagged ‘Gabgbo’

A Abidjan, la crainte de massacres pousse les habitants à fuir

In Afrique on 22 mars 2011 at 13 h 48 min

Le Monde,

Lundi 21 mars à Abidjan, des dizaines de milliers de volontaires sont venus s'enrôler dans l'armée de Gbagbo suivant l'appel de Charles Blé Goudé (au centre).

Lundi 21 mars à Abidjan, des dizaines de milliers de volontaires sont venus s’enrôler dans l’armée de Gbagbo suivant l’appel de Charles Blé Goudé (au centre).AFP/SIA KAMBOU

 

ABIDJAN, ENVOYÉ SPÉCIAL – Après une nouvelle nuit de pluie et de bombardements, c’en est assez. Lundi 21 mars, Abobo cède à la menace des lendemains en Côte d’Ivoire. Cernés, bombardés, abandonnés à eux-mêmes, les habitants du vaste quartier du nord d’Abidjan où est implantée une rébellion soutenant Alassane Ouattara ont décidé de s’en aller. C’est un exode, et il est massif.

Dans d’autres zones d’Abidjan, les mêmes préparatifs ont lieu. A Williamsville ou dans certaines parties de Yopougon, les portes se ferment et les habitants prennent la route, chargés de ballots et d’enfants. De longues files de marcheurs fuient aussi vite que les ruelles envahies de torrents de boue le permettent. Taxis collectifs, véhicules individuels ou camions, tout ce qui roule est pris d’assaut. S’y entassent familles, bagages et téléviseurs.

Dans le sous-quartier de « Sans manquer », bourdonnant d’activité encore récemment, des pères de famille cherchent à affréter des bus pour emmener proches et voisins. Des rues entières se sont vidées depuis la veille. Ceux qui avaient opté pour d’autres quartiers d’Abidjan, pensant échapper aux combats d’Abobo, voient la violence s’étendre peu à peu.

Sur la route qui passe non loin d’une caserne de miliciens pro-Gabgbo, à Williamsville, gît un corps que nul n’ose ramasser. Pour ceux qui prennent la direction du nord, vers Bouaké, ex-capitale rebelle, reste à passer les barrages des « corps habillés » qui n’ont cessé de rançonner dans les rues d’Abidjan et tiennent là une occasion de se remplir les poches. Un gigantesque embouteillage s’est créé.

« PLANIFICATION ÉVIDENTE »

Pendant ce temps, lundi matin, plus d’une dizaine de milliers de volontaires ont répondu à l’appel de Charles Blé Goudé pour venir s’enrôler dans l’armée loyale àLaurent Gbagbo. Le « général de la jeunesse » avait déjà encouragé la création de comités de vigilance dans les quartiers d’Abidjan, établissant des barrages où ont surgi, au fil des jours, de plus en plus d’armes. Samedi, il a lancé un « appel historique » pour que les patriotes rejoignent les rangs des Forces de défense et de sécurité (FDS) qui défendent Laurent Gbagbo face aux actions du commando invisible d’Abidjan et à la poussée de l’ex-rébellion pro-Ouattara dans l’ouest du pays.

Dès la veille, les patriotes pro-Gbagbo avaient commencé à converger vers le quartier du Plateau, en direction du camp Gallieni, qui abrite l’état-major et le ministre de la défense. Lundi, près de vingt mille volontaires s’y pressaient, espérant recevoir des armes et retourner dans leurs quartiers pour s’en servir. Aux barrages, il arrive qu’on tue, qu’on brûle vifs les passants accusés indifféremment d’être « étrangers » ou « rebelles ». Avec des milliers d’armes, l’apocalypse menace. Cette perspective a été déterminante pour lancer l’exode d’Abidjan.

Il n’y aura pas de distributions d’armes, lundi, au camp Gallieni. Il faudra patienter encore quelques jours et se rendre aux points de recrutement dans les quartiers, a expliqué Charles Blé Goudé. « Pour un fauteuil présidentiel, combien d’Ivoiriens vont mourir ? », s’est interrogé, énigmatique, le principal animateur du mouvement patriotique pro-Gbagbo, ministre de l’emploi.

L’Union africaine a consacré le 10 mars la victoire de M. Ouattara à l’élection présidentielle et demandé le départ de M. Gbagbo. Depuis, selon l’alliance pro-Ouattara, s’est mise en place une politique de violence « exécutée avec une planification évidente ».

Son gouvernement dit redouter la « plus grande crise humanitaire de l’histoire » du pays. Une source humanitaire emploie des termes similaires : « Nous sommes face à une crise majeure, sans le moindre filet. Pas assez de fonds débloqués, pas de programmes d’urgence, les Nations unies identifiées comme un ennemi par l’une des parties. C’est un cas unique. »

Jean-Philippe Rémy