Claude Blacque Belair

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Vent de fronde en Europe: Les « indignés » de Syntagma

In Economie, Politique Nationale, Société on 29 juin 2011 at 17 h 23 min

Le Monde Diplomatique de Juillet 2011.

Quand on regarde les images des « indignés » de Syntagma, la place de la Constitution athénienne, il ne faut pas se tromper : les paumes ouvertes des contestataires ne saluent pas le Parlement. Elles forment un geste rude et méprisant, moutza, adressé aux élus de la nation – ces « voleurs », « traîtres », « vendus »…

Il s’agit de la place où, en 1843, les Grecs, guidés par quelques anciens combattants révolutionnaires, ont demandé à Otton Ier, le roi bavarois imposé par les grandes puissances de l’époque (France, Royaume-Uni, Russie), un syntagma (Constitution), après la deuxième des quatre faillites (en 1827, 1843, 1897 et 1927 ) de l’Etat grec moderne, provoquée par les exigences démesurées des créanciers étrangers – déjà ! – et la vie luxueuse de la cour. Une coïncidence historique ?

La foule qui, chaque soir, se réunit à Syntagma prend la relève d’un mouvement qui a déjà connu deux défaites : la révolte des jeunes, en décembre 2008 (1), ayant suivi le meurtre du lycéen Alexis Grigoropoulos par la police, et celle du 5 mai 2010, quand la police a brisé une manifestation de cent mille personnes, après un incendie qui a fait quatre morts.

La honte et la culpabilité se transforment petit à petit en indignation quand, un par un, les habitants commencent à comprendre les ressorts de la situation – jamais vraiment décrits par les médias : les conditions de prêt imposées par l’Union européenne et le Fonds monétaire international (FMI), la renonciation à la souveraineté nationale signée par « petit Georges » Papandréou, le premier ministre, les mesures d’austérité – qui épargnent les riches –, le pillage programmé du secteur public par de grandes multinationales… Il a suffi d’une étincelle sur Facebook, autour d’un panneau des indignados espagnols (« Réveillez-vous, les Grecs ! »), pour que les gens se donnent rendez-vous à Syntagma.

Déterminés à ne permettre aucune affiliation partisane, les « indignés » forment un cocktail improbable aux yeux de l’observateur politisé : se retrouvent pour la première fois ensemble dans la rue des familles avec leurs enfants, des retraités, des jeunes branchés, au coude-à-coude avec des membres des classes moyennes, naguère favorisés et désormais touchés par l’austérité, des gauchistes, des anarchistes, des nationalistes, des nostalgiques de Woodstock (2), des fans des théories de la conspiration, des antisémites « à l’âme grecque » – de tout, sauf des fascistes déclarés, qui ont été repoussés dès le premier jour. Quel mélange étonnant ! Beaucoup ont vu leur vie confortable secouée par les mesures prises par le gouvernement ; beaucoup cherchent à se documenter sur le rôle de Goldman Sachs et des agences de notation. La banque américaine a visiblement aidé le gouvernement grec à cacher l’ampleur de sa dette, spéculant dans un même mouvement sur la baisse de la qualité de la dette grecque, et du coup s’enrichissant. Les informations alternatives, comme le documentaire Debtocracy sur Internet, ont beaucoup de succès (3).

Toutefois, la place est moins homogène qu’il n’y paraît. Une séparation est apparue assez tôt entre les manifestants d’« en haut », en face du Parlement, plus nationalistes et souvent portés vers le hooliganisme, et ceux d’« en bas », plus à gauche et plutôt enclins aux assemblées générales. On trouve également des gens qui cherchent à débattre d’une manière raisonnable, sans dogmatisme, sans doctrines.

Dans ce cadre, le rôle de la gauche apparaît à la fois important et contradictoire. Prise dans la méfiance généralisée envers les partis politiques, l’ensemble de la gauche est considérée comme faisant partie du problème. Car elle n’a su se distinguer de l’ordre politique établi ni par ses idées ni par le comportement de ses représentants.

Le Parti communiste (KKE) poursuit par exemple sur la voie d’un « isolement splendide » : juché sur l’Olympe du stalinisme, il dénonce les « indignés », jugés apolitiques. La Coalition de la gauche radicale (Syriza), même si elle a embrassé le mouvement de Syntagma, ne peut pas incarner le renouveau en raison de sa propre image, post-hippie, élitiste, aimant les discours, mais fort éloignée des vrais problèmes populaires. Les autres petites fractions de la gauche radicale se contentent de rêver à la révolution qui bientôt débutera à Syntagma…

Les « indignés » préfèrent s’organiser en dehors des partis politiques ; ils créent des nouveaux syndicats de base, militants et représentatifs ; ils forment des assemblées locales. Des militants de la gauche y participent, mais strictement à titre personnel. Ces nouvelles organisations sont devenues indispensables à l’établissement de la solidarité des « indignés ».

Il ne faut pas oublier les « encagoulés », les bachali (« casse-tout »), un mélange improbable d’anarchistes, de jeunes impulsifs et de hooligans, qui naguère apparaissaient comme seuls représentants de la colère populaire, rôle que les médias et le gouvernement ont utilisé comme épouvantail pour terroriser les citoyens lors de manifestations passant alors pour très dangereuses. Les bachali sont exclus de Syntagma, et leurs efforts pour tout casser pendant la grande manifestation du 15 juin se sont heurtés aux « indignés », qui les ont chassés.

Justement, ce rassemblement du 15 juin fut le moment décisif pour faire trembler les fondations du gouvernement, d’autant que des députés du Pasok (socialistes) en désaccord avec la politique du gouvernement pour les uns, avec les personnes qui l’incarnent pour les autres, se sont appuyés sur le mouvement pour déclarer qu’ils n’allaient pas voter le nouveau plan. Les contestataires sont restés à Syntagma après la marche de la grève générale. Ils ont même détecté un « casse-tout » qui avait sur lui sa carte de policier, prouvant la relation intime entre les deux, alors que la police était déterminée à envahir la place, sous le prétexte habituel des bachali. Malgré les batailles et le cotonneux nuage des gaz lacrymogènes, la foule est restée aux alentours. Et, comme si un intellect collectif coordonnait leur stratégie, les manifestants ont reconquis Syntagma pacifiquement, en repoussant la police et en calmant les « casse-tout ». Une victoire du demos, de la communauté des citoyens, pour la première fois.

Pris de panique, le premier ministre a d’abord fait savoir qu’il démissionnerait, avant de se raviser en cherchant la formation d’une grande coalition avec la conservatrice Nouvelle Démocratie (ND), comme d’ailleurs l’ordonnait l’Union européenne. Après quelques dialogues dignes d’un Aristophane, M. Antonis Samaras, chef de ND et ancien camarade d’école de M. Papandréou, a refusé. La seule solution possible pour le premier ministre fut un remaniement ministériel.

Le lendemain, tout a changé. L’Union européenne, l’Allemagne et le FMI ont affirmé le versement du paiement prochain, tout en maintenant les menaces habituelles. Certains commentateurs de la presse internationale commencent à poser la vraie question : « Et si les Grecs ne veulent pas s’endetter davantage pour sauver l’euro et le système financier ?  (4 »

Bouillonnant, sans épicentre ni projet concret et, en même temps, sage et furieusement démocratique, le collectif des « sans-voix » de Syntagma a finalement poussé son cri. Nul ne peut dire s’il aura un prolongement. Mais, comme le professe un mur d’Athènes, en évoquant Joe Strummer du groupe de musique The Clash, « The future is unwritten » (« L’avenir n’est pas écrit »). Restez accrochés.

Athanase Koutsis.

 

 

 (1) Lire Valia Kaimaki, « “Aux banques ils donnent de l’argent, aux jeunes ils offrent… des balles” », Le Monde diplomatique, janvier 2009.

(2) Du nom du rassemblement d’août 1969 à Woodstock, emblématique de la contestation et de la culture hippie des années 1960-1970.

(3) Le voir sur le site dédié :www.debtocracy.gr, sous-titré en français. Financé collectivement par de petits dons individuels, le documentaire a été réalisé par les journalistes Aris Hatzistefanou et Katerina Kitidi. Le lendemain de sa première projection en ligne, Hatzistefanou a été licencié de la chaine de radio privée où il travaillait.

(4) Lire Alen Mattich, « What if Greeks Decide They Don’t Want to Be Rescued ? », The Wall Street Journal, 17 juin 2011.

Bertrand Badie : « Les sociétés prennent leur revanche en Tunisie, Egypte et Libye »

In Monde arabe, Société on 25 février 2011 at 16 h 47 min

Le Monde,

San Pedro : Quelles différences feriez-vous entre régimes totalitaires et régimes autoritaires ?

Geaz : Régimes autoritaires, dictatoriaux, totalitaires… Quelles est ou sont les termes exacts pour définir les pays où les citoyens se révoltent en ce moment ?

Bertrand Badie : Le totalitarisme renvoie, comme son nom l’indique, à un cas extrême, heureusement jamais complètement réalisable. Il suppose un contrôle total, absolu de la société par les structures politiques. Il nie tout espace d’autonomie, tout rôle propre à l’individu. Dans un Etat totalitaire, il n’y a pas d’espace privé. Tous les rôles sociaux sont directement contrôlés et même forgés par les titulaires de l’autorité.

C’est dire qu’un tel régime suppose non seulement une capacité répressive très élevée, mais aussi une idéologie forte qui retire tout espace de liberté et de jugement personnel, qui s’impose donc comme mode unique de socialisation intégrale de chaque personne. Cette vision correspond historiquement au nazisme et au stalinisme. On a pu en trouver des relents avec le maoïsme au moment de la Révolution culturelle. On la retrouve avec le régime des Khmers rouges tel qu’il est installé dans la seconde moitié des années 1970. Peut-être le totalitarisme correspond-il encore aujourd’hui à ce qu’on peut observer en Corée du Nord.
Mais même dans les moments les plus sévères de ces différents régimes, on sait qu’ils demeuraient discrètement et clandestinement des modes d’autonomie individuelle qui faisaient que le totalitarisme, fort heureusement, ne s’accomplissait jamais dans l’intégralité de son projet.

Aujourd’hui, avec la mondialisation, avec l’essor des techniques de communication, avec la diversification des identifications et des allégeances, le totalitarisme est un projet politique de moins en moins capable de se réaliser. Par ailleurs, peu de sociétés, notamment au sud, disposent des moyens techniques de le pérenniser. Il faut donc parler plutôt d’autoritarisme, et plus exactement d’autocratie, pour désigner ainsi des régimes qui ne sont pas librement choisis et qui se construisent en limitant les libertés, en restreignant, voire en niant, les droits, et en laissant le moins d’autonomie possible aux sociétés civiles. C’est précisément parce que de nos jours ce projet est de plus en plus difficile à réaliser qu’on a vu un peu partout, et en particulier dans ces trois autocraties du monde arabe que sont la Tunisie de Ben Ali, l’Egypte de Moubarak et la Libye de Kadhafi, un mouvement d’émancipation partant de la société et de ses capacités sans cesse renforcées d’autonomisation.

David Guilbaud : Est-il possible pour un régime autoritaire de laisser des contestations ponctuelles se produire, ou bien est-ce une « boîte de Pandore » qui, une fois ouverte, ne peut plus être refermée?

La « contestation zéro » n’existe heureusement pas, et en tous les cas s’impose de moins en moins. Même les régimes autoritaires les plus durs sont obligés de laisser fuir des éléments de contestation, qui peuvent prendre des formes inattendues, comme la dérision, le travestissement, ou se réaliser dans des registres autres que ceux de la politique classique, notamment à travers les répertoires religieux. Evidemment, l’optimum de l’efficacité autoritaire est de laisser s’exercer une part de contestation pour éviter des risques d’explosion.

Cependant, tout régime autoritaire a sa propre dynamique, qui le conduit très vite à marginaliser de tels calculs et à laisser libre cours à une spirale répressive. C’est probablement le premier symptôme de faiblesse des dictatures, et c’est précisément dans la résistance à cette répression croissante que se trouvent les premiers ferments de contestation et de remise en cause de ces régimes.

François : Est-ce que l’Iran et la Chine d’aujourd’hui sont des régimes totalitaires ?

La Chine est très clairement entrée dans un moment post-totalitaire. C’est en tout cas ainsi que la plupart des spécialistes désignent la période qui s’ouvre après la Révolution culturelle, et en tous les cas, au moment de la politique d’ouverture initiée par Deng Xiaoping en 1978. Le choix que les dirigeants post-maoïstes ont fait pour leur pays était celui de l’entrée dans la mondialisation. Ce qui impliquait de dépasser la vision maoïste d’une confrontation entre la Chine et le capitalisme mondial. Ce qui supposait aussi d’intégrer à la société chinoise les pratiques économiques autrefois vilipendées et sur la dénonciation desquelles se construisaient les relents totalitaires de l’idéologie maoïste.

Dès lors, ce changement de voie et d’analyse a retiré à la Chine cette idéologie dont elle avait besoin pour maintenir un ordre totalitaire. La répression pure et simple, du type de celle de Tiananmen en juin 1989, se substituait donc aux grandes constructions précédentes et faisait basculer l’empire du Milieu dans un ordre autocratique banal, mais désormais post-totalitaire. Ajoutons à cela qu’il est difficile d’avoir le beurre et l’argent du beurre : l’entrée dans la mondialisation et le maintien d’un ordre unanimiste comme celui qui confiait au Grand Timonier la conduite de son peuple.

C’est donc fondamentalement dans une ambiance instable, et qui le sera de plus en plus, que la Chine découvre empiriquement les avantages et les dangers du post-totalitarisme. L’Iran est un cas différent, puisque là l’idéologie garde une place essentielle autour de l’islam et d’une lecture idéologique de celui-ci. A cela s’ajoute tout un ensemble de symptômes qui peuvent accréditer l’idée de prétention totalitaire : contrôle de la consommation, des tenues vestimentaires, des loisirs, etc.

Pourtant, nous sommes ici aussi hors de la logique totalitaire pure telle que nous l’avons définie. D’abord parce que la République islamique ne dispose pas des moyens techniques d’un contrôle efficace et total de la société : celle-ci reste en Iran animée par toute une série de dynamiques autonomes qui permettent à la société civile de se pérenniser, et à la contestation de s’exprimer par des voies diverses. Par ailleurs, l’internationalisation de fait de toutes les sociétés empêche la société iranienne de vivre hors du monde et des rythmes de la mondialisation. On parlera donc d’« autocratie religieuse » beaucoup plus que d’un « totalitarisme religieux ».

David Guilbaud : Quelle peut être l’alternative à l’autoritarisme pour maintenir la cohésion des pays qui connaissent de nombreux facteurs centrifuges, tels la Libye ?

C’est tout le problème. Si aujourd’hui l’autocratie libyenne est en train de sombrer, c’est en bonne partie parce que les forces centrifuges y sont profondes et efficaces. Il serait dès lors étonnant que la révolution que nous observons aujourd’hui puisse construire, en substitut du régime qui s’effondre, un autre qui serait tout aussi centralisé et qui pourrait s’apparenter aux formes d’Etat ou de démocratie connues en Occident.

Plus profondément, il convient d’observer un phénomène majeur : les révolutions qui se sont développées en Egypte, en Tunisie, en Libye, mais aussi en cours au Bahreïn ou au Yémen, sont des révolutions avant tout sociales, qui marquent la revanche des sociétés beaucoup plus que celle d’une opposition devenue inexistante ou marginale. Nous sommes entrés brutalement dans l’ère post-léniniste, où les mobilisations se révèlent efficaces lorsqu’elles n’ont pas, pour les animer, une organisation, un leader, une idéologie, un programme.

Cette logique post-léniniste cadre bien avec la mondialisation telle que nous la connaissons aujourd’hui, avec l’évolution des technologies de communication, avec les transformations démographiques, avec la régression des modèles idéologiques classiques. Elle invente une autre dynamique politique où l’ordre n’est pas préconstruit, mais en situation de se construire et d’évoluer au fil des événements. On peut donc s’attendre, après un moment très fort de centralisation et d’idéologisation, à une réinvention d’une autre politique qui rendra beaucoup plus difficile la constitution d’un modèle gouvernemental ordonné.
Cela pour le meilleur ou pour le pire : ce défaut d’organisation et cette nature post-léniniste des révolutions peuvent aussi bien faire le lit d’un néobonapartisme, de n’importe quel général ramassant un pouvoir à prendre, que favoriser l’invention de formes nouvelles de participation, et peut-être, à terme, de nouvelles pratiques de contrôle démocratique du pouvoir.

N’oublions pas, en effet, que ceux qui sont au pouvoir au Caire et à Tunis, peut-être demain à Tripoli ou à Manama, le sont et le seront sous la surveillance d’acteurs sociaux, et même de sociétés entières : leur chance de garder le pouvoir deviendra peut-être aussi fonction de leurs capacités d’écouter une société dont ils savent maintenant qu’elle ne sera plus jamais muette. On a stupidement parié sur le mutisme de certaines sociétés, sur leur indifférence à la démocratie, sur le désordre fugace de la « rue arabe » : ces impressions de nature raciste sont aujourd’hui à tout jamais démenties.

Sykes-Picot : Quel rôle joue l’armée selon vous ? En Tunisie et en Egypte, elle reste aux commandes ? S’agit-il vraiment de révolutions ou de renversement du prince au profit des institutions militaires ?

C’est bien sûr là une des inconnues. Mais il faut être prudent, car on a beaucoup trop simplifié cet aspect d’une réalité en fait beaucoup plus complexe. D’abord, l’armée n’était pas au pouvoir en Tunisie. C’était là-bas le règne de la police, et surtout d’un policier qui avait accaparé le pouvoir. Il n’est pas dit que l’armée tunisienne, qui a incontestablement favorisé le départ de Ben Ali, sera récompensée en accédant au pouvoir, ni même qu’elle recherche une telle récompense. En Egypte, en revanche, l’armée était bel et bien au pouvoir, et cela depuis le coup d’Etat des officiers libres en 1952. Elle s’est en quelque sorte défendue : se sentant en danger avec un pouvoir usé et corrompu tel que l’exerçait Moubarak, elle a évidemment cherché à couper les branches mortes. Est-elle pour autant aujourd’hui unie comme il y a cinquante ans ? C’est ici qu’il convient d’être prudent : j’accepte mal cette façon de parler de l’armée au singulier, comme on pouvait probablement le faire jadis.

Aujourd’hui, au sein de l’armée, les intérêts se sont diversifiés, les personnalités se sont dissociées, les idéologies se sont en même temps érodées et divisées. Le nationalisme arabe dans sa version nassérienne était un ciment fort qui donnait un sens au singulier du temps de Gamal Abdel Nasser. Aujourd’hui, sous l’effet de l’érosion du panarabisme, mais aussi à cause de la mondialisation dont nous parlions tout à l’heure, l’armée a perdu cette unité qui permettait autrefois de la confondre dans une même autocratie militante.

Si l’on veut comprendre l’avenir de l’Egypte, il serait beaucoup plus pertinent de se livrer à une sociologie de ses divisions et de ses différenciations, sans oublier bien sûr que l’un de ses chefs peut un jour, au nom du charisme ou tout simplement de l’habileté, ramasser le pouvoir à son profit. Mais il est difficile d’admettre qu’il sera alors un nouveau Nasser, car probablement, et pour les raisons exposées plus haut, l’ère des grandes mobilisations unanimistes est probablement dépassée.

Guest : Croyez-vous au basculement d’un prochain régime du Maghreb, l’Algérie ou le Maroc par exemple ?

Le Maghreb n’a jamais été un espace homogène, et aujourd’hui moins que jamais. On a trop vite assimilé le cas algérien à celui de la Tunisie. Or l’Algérie sort à peine d’une guerre civile longue et coûteuse. En outre, elle ne connaissait pas le même étouffement des libertés qui, en Tunisie, a été explosif et fatal au despote. Nul ne saurait prévoir, dans le moyen terme, l’évolution des processus sociaux, mais je ne crois pas que l’Algérie soit exposée au même degré que son voisin oriental, ni même qu’à celui de pays comme le Yémen ou le Bahreïn.

A la différence de la Tunisie, le pouvoir en Algérie est véritablement confisqué par l’armée. La dépossession globale de celle-ci est beaucoup moins évidente à réaliser que l’éviction d’un dictateur comme Ben Ali. De ce point de vue au moins, on est plus proche du cas égyptien et de l’aptitude de l’armée algérienne à faire comme sa grande sœur égyptienne le travail de régulation nécessaire pour assurer sa pérennisation. Au Maroc, la capacité régulatrice appartient encore à la monarchie, peu contestée par les mouvements sociaux qui s’y développent actuellement. Sauf accélération de l’histoire, il me paraît peu probable que ce paravent de légitimité cède si facilement.

PO: La Syrie peut-elle être touchée par ces mouvements ?

Si l’on observe ce qui se produit actuellement, la Syrie apparaît comme l’un des pays les moins affectés au sein du Grand Moyen-Orient par les bouleversements que nous avons caractérisés. Plusieurs facteurs sont à prendre en compte. Tout d’abord, le régime syrien a réussi à préserver un minimum d’unité nationale autour d’une politique étrangère qui est très peu contestée et qui, au contraire de ce qui s’est produit en Egypte, assure la pérennité d’un minimum de cohésion nationale.

On voit à quel point Moubarak et son système ont pris des risques énormes en démantelant la politique étrangère égyptienne et en l’alignant de façon aussi cynique sur les Etats-Unis, et même sur les gouvernements les plus radicaux d’Israël. Si le mouvement de la place Tahrir n’exprimait aucune violence à l’encontre d’Israël, le thème de la solidarité avec la Palestine était présent partout et constituait un marqueur essentiel de la volonté des jeunes Egyptiens de sortir d’une humiliation dans laquelle les avait placés la diplomatie de leur pays.

En outre, le régime du président Hafez El-Assad et de son fils Bachar ne présente pas des symptômes de corruption aussi choquants que ceux qui accompagnent les sagas de la famille Moubarak ou de la famille Ben Ali. Il me semble donc que le régime syrien ne soit pas dans une situation de danger immédiat, comme la plupart de ses homologues de la région.

Guillaume : M. Badie, croyez-vous possible l’établissement de réelles démocraties dans les pays arabes actuellement en ébullition ?

La question est complexe et lourde, car il faudrait définir d’abord ce qu’on entend par « réelles démocraties ». Une chose est sûre : le modèle démocratique occidental, qui est celui du gouvernement représentatif, correspond à une histoire qui n’est réductible ni à l’histoire longue du monde arabe, ni aux données de son actuelle conjoncture.

Trois champs doivent être minutieusement explorés pour caractériser l’avenir de cette démocratie. D’abord celui de sociétés civiles, encore faiblement individualisées, marquées par des contrats sociaux fragiles, et disposant d’une autonomie encore incertaine. Ensuite, celui d’institutions souvent artificielles, plaquées, mal connues et peu valorisées par la population. Enfin, celui d’une entrée chaotique dans la mondialisation, faite pour l’essentiel d’humiliations, de diktats, de négations qui atteignent souvent l’identité des personnes et des groupes.

Sans un travail puissant à ces trois niveaux, un modèle démocratique efficace peut réellement paraître illusoire. Mais qui fera ce travail ? On sait aujourd’hui à quel point l »autocratie modernisatrice » est fictive, totalement inapte à réaliser une telle dynamique ; au contraire, tous les autocrates n’ont fait dans le monde arabe que brouiller davantage ces trois strates dont dépend le succès futur de la démocratie. C’est bien ce dilemme qui rend si difficile la situation propre à ces pays. La seule voie d’espoir se trouve dans le chemin suivi par les puissances émergentes, Turquie, Brésil, Inde, qui ont réussi peu à peu à se doter d’une démocratie grâce à leurs performances économiques, grâce à la naissance d’une véritable classe moyenne qui se reconnaissait dans les vertus d’un tel régime, et grâce enfin à la reconnaissance par l’extérieur de leur force et de leur respectabilité.

MI-5 : Croyez-vous que l’Occident sera au rendez-vous de l’histoire des peuples arabes ou va-t-il échouer au profit à terme de courants islamistes radicaux ?

Dans ce travail, l’Occident est bien mal parti. C’est en son sein, et non de l’intérieur du monde arabe, qu’a été inventée cette notion funeste d' »autocratie modernisatrice ». L’idée, sinon le plan, était simple et se retrouvait déjà dans l’idéologie développementaliste des années 1960 : la mise en place de régimes autoritaires était jugée comme nécessaire pour assurer le développement et l’accession prochaine de ces sociétés au paradis de la démocratie et de la consommation. La recette avait même un avantage pour les tuteurs occidentaux : celui de leur offrir sur un plateau des princes dépendant de la manne occidentale et devenant ainsi des clients idéaux pour la diplomatie des grandes puissances.

Avec le conflit israélo-palestinien, puis les événements du 11-Septembre, un pari supplémentaire faisait son apparition : les régimes autoritaires étaient d’autant plus fonctionnels que de surcroît ils offraient des garanties de sécurité qui devenaient l’obsession des grandes puissances. Le calcul était absurde, car il faisait mécaniquement le lit du radicalisme religieux et confiait aux mouvements sociaux le rôle exclusif de contestation. On a vu vers quels extrêmes funestes de tels choix ont pu mener.

Circonstance aggravante : la plupart des diplomaties occidentales ont fait preuve d’une incroyable myopie, préférant regarder les dictateurs devenus des partenaires routiniers plutôt que les sociétés, leur évolution et leurs transformations. Du coup, les premiers frémissements sociaux étaient accueillis avec scepticisme, et on préférait offrir une coopération répressive, à peine assortie de conseils de sagesse, plutôt que de prendre en compte ces dynamiques nouvelles. Peut-être les Etats-Unis ont-ils ici fait preuve de davantage de lucidité, Barack Obama ne faisant, en tout cas dans les cas tunisien et égyptien, que suivre la grammaire de ses premiers discours.

Alouette : Que pensez-vous de la réaction de la France dans cette ébullition arabe ? La diplomatie française est-elle à la hauteur ? Que reste-t-il de la diplomatie française ? Que reste-t-il de la politique arabe de la France ?

La diplomatie arabe de la France était déjà bien érodée depuis quelque temps. La coupure n’est peut-être pas 2007, mais se situe autour de 2004, 2005 et la fin du second mandat de Jacques Chirac. On a vu peu à peu disparaître les ressources et les orientations qui distinguaient la France, au sein du monde arabe, de ses partenaires occidentaux. La navrante parenthèse de l’Union pour la Méditerranée n’a pas ranimé cette politique arabe, elle l’a dissoute dans une totalité informe. Aujourd’hui, nous vivons une troisième étape : plus de diplomatie arabe, plus de reconnaissance d’un monde qui a sa personnalité propre, mais aussi une froide ignorance des réalités sociales, pourtant si riches et si complexes, qui font en même temps l’instabilité et l’avenir du monde arabe.

 

Edgar Morin, une voie pour éviter le désastre annoncé

In Société on 24 janvier 2011 at 11 h 13 min

Rue 89, le 23/1/2011

Entretien avec l’ancien résistant et philosophe qui, dans son livre « La Voie », dresse un constat sévère des maux contemporains.

Edgar Morin chez lui à Paris, en janvier 2011 (Audrey Cerdan/Rue89).

 

A 89 ans, Edgar Morin continue de produire une réflexion riche et tournée vers l’avenir. Cet ancien résistant, ex-communiste, sociologue et philosophe, à qui, sans le savoir, Nicolas Sarkozy empruntait il y a quelques années le concept de « politique de civilisation », vient de produire un nouvel ouvrage, « La Voie », dans laquelle il fait à la fois un constat sévère et angoissant des maux de notre époque, et tente de donner quelques pistes pour l’avenir. Entretien avec Rue89.

Rue89 : Nous avons été frappés par votre pessimisme en lisant votre livre. Vous prédisez une catastrophe de l’humanité tout en disant que le pire n’est jamais sûr. La note d’espoir de la fin s’adresse à ceux qui survivront au cataclysme…

Edgar Morin : Ecrire 300 pages de propositions pour l’avenir n’est pas pessimiste. Si j’avais été pessimiste, j’aurais été Cioran, j’aurais écrit quelques maximes disant « tout est foutu ».

Je me place d’un point de vue qui est celui de la distinction entre le probable de l’improbable. Le probable, pour un observateur donné dans un lieu donné, consiste à se projeter dans le futur à partir des meilleures informations dont il dispose sur son temps.

Evidemment, si je projette dans le futur le cours actuel du devenir de la planète, il est extrêmement inquiétant. Pourquoi ?

Non seulement il y a la dégradation de la biosphère, la propagation de l’arme nucléaire mais il y a aussi une double crise : crise des civilisations traditionnelles sous le coup du développement et de la mondialisation, qui n’est rien d’autre que l’occidentalisation, et crise de notre civilisation occidentale qui produit ce devenir accéléré où la science et la technique ne sont pas contrôlées et où le profit est déchaîné.

La mort de l’hydre du totalitarisme communiste a provoqué le réveil de l’hydre du fanatisme religieux et la surexcitation de l’hydre du capital financier.

Ces processus semblent nous mener vers des catastrophes dont on ne sait pas si elles vont se succéder ou se combiner. Tous ces processus, c’est le probable.

Seulement, l’expérience de l’histoire nous montre que l’improbable bénéfique arrive. L’exemple formidable du monde méditerranéen cinq siècles avant notre ère : comment une petite cité minable, Athènes, a-t-elle pu résister deux fois à un gigantesque empire et donner naissance à la démocratie ?

J’ai vécu autre chose. En l’automne 1941, après avoir quasi détruit les armées soviétiques qu’il avait rencontrées, Hitler était arrivé aux portes de Leningrad et de Moscou. Or à Moscou, un hiver très précoce a congelé l’armée allemande. Les soviétiques étaient déjà partis de l’autre côté de l’Oural.

L’histoire aurait pu être différente si Hitler avait déclenché son offensive en mai comme il l’avait voulu et non pas en juin après que Mussolini lui eut demandé de l’aide, ou si Staline n’avait pas appris que le Japon n’attaquerait pas la Sibérie, ce qui lui a permis de nommer Joukov général sur le front du Moscou.

Le 5 décembre, la première contre-offensive soviétique a libéré Moscou sur 200 kilomètres et deux jours plus tard, les Américains sont entrés en guerre. Voilà un improbable qui se transforme en probable.

Aujourd’hui, quel est le nouvel improbable ? La vitalité de ce l’on appelle la société civile, une créativité porteuse d’avenir. En France, l’économie sociale et solidaire prend un nouvel essor, l’agriculture biologique et fermière, des solutions écologiques, des métiers de solidarité… Ce matin, j’ai reçu un document par e-mail sur l’agriculture urbaine.

Au Brésil où je vais souvent, des initiatives formidables transforment actuellement un bidonville voué à la délinquance et à la misère en organisation salvatrice pour les jeunes.

Beaucoup de choses se créent. Le monde grouille d’initiatives de vouloir vivre. Faisons en sorte que ces initiatives se connaissent et se croisent ! La grande difficulté est là, car nous sommes emportés à toute vitesse dans cette course vers les désastres, sans avoir conscience de cela.

La crise intellectuelle est peut-être la pire parce que nous continuons à penser que la croissance va résoudre tous les maux alors que la croissance infinie et accélérée nous projette dans un monde fini qui la rendrait impossible.

Il n’y a pas de pensée suffisamment complexe pour traiter cela ; notre éducation donne de très bons spécialistes mais ils sont incapables de transmettre leur spécialité aux autres. Or, il faut des réformes solidaires. Tout ceci montre la difficulté pour nous à changer de voie.

Mais l’humanité a changé souvent de voies. Comment se fait-il que le Bouddha, le prince Sakyamuni, qui réfléchit sur la souffrance, élabore sa conception de la vérité qui va devenir une religion ? Comment se fait-il que ce petit chaman juif, dissident et crucifié, donne grâce à Paul cette religion universaliste qu’est le christianisme ? Que Mohamed, chassé de la Mecque, soit à la source d’une gigantesque religion ?

Vous pensez qu’il faut un nouveau prophète ?

Non… mais il faut certainement des nouveaux penseurs. Il ne faut pas oublier que les socialistes, Marx, Proudhon, étaient considérés comme des farfelus, ignorés et méprisés par l’intelligentsia de l’époque. C’est à partir de la fin du XIXe que naissent le Parti socialiste démocrate allemand, le socialisme réformiste, le communisme léninisme, etc. et qu’ils se développent comme des forces politiques formidables.

Même sur le plan de l’histoire, le capitalisme s’est développé comme un parasite de luxe du monde féodal. La monarchie luttait contre les féodaux, le monde bourgeois et capitaliste a donc pu se développer. L’histoire a changé de sens, c’est un facteur d’optimisme.

Je suis parti de l’idée que tout est à réformer et que toutes les réformes sont solidaires. Je suis obligé de le penser puisqu’une révolution radicale comme celle de l’URSS ou même de Mao, qui ont pensé liquider totalement un système capitaliste et bourgeois, une structure sociale, économique et étatique, n’ont finalement pas réussi à le faire. Ils ont provoqué à long terme la victoire de l’ennemi qu’ils pensaient avoir liquidé : c’est-à-dire un système capitaliste pire que celui de 1917 et le retour de la religion triomphale en Russie et, en Chine, la victoire du capitalisme lié à l’esclavagisme d’Etat.

Ce que vous dites accentue le pessimisme puisqu’on constate un vide de la pensée. Aucune force politique à la veille de 2012 n’est porteuse de cette complexité.

Dans chaque domaine, il existe des exemples positifs, marginaux peut-être même… Mais toutes les grandes réformes et les révolutions ont débuté par ces expériences marginales.

Mais ce qui n’est pas pessimiste, c’est que je lie l’espérance à la désespérance. Plus les choses s’aggraveront, plus il y aura une prise de conscience. Hölderlin dit : « Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve », c’est-à-dire qu’il y a des chances que soient provoquées les prises de conscience.

Vous savez, il faut dépasser la dualité optimiste-pessimiste. Je ne sais pas si je suis un « optipessimiste » ou un « pessimoptimiste ». Ce sont des catégories dans lesquelles il ne faut pas se laisser enfermer.

Que pensez-vous du succès du petit livre de Stéphane Hessel ?

La jeunesse d’esprit de Stéphane Hessel, sa vie très droite, la résistance, la déportation, sa fidélité au programme du Conseil de la résistance, son projet des droits de l’homme, la fondation pour aider des villages en Afrique…. C’est un humaniste planétaire !

Ce succès est quelque chose de très significatif, de très positif. Son petit livre a une fonction d’éveil mais il faut éviter le malentendu de se concentrer sur la notion d’indignation. Une indignation sans réflexion, c’est très dangereux. L’indignation n’est pas un signe de vérité, une indignation est vraie si elle est fondée sur une analyse. Evidemment, si vous prenez l’affaire Bettencourt, il y a de quoi s’indigner…

Ce livre est un déclic éveilleur qui va un peu au-delà de l’indignation. Il faut désormais dépasser ce stade pour un autre, celui de la pensée. Les journée de grève sur les retraites avaient un sens polyvalent, tous les mécontentements se cristallisaient. Il y avait un côté « éveil populaire ». Là aussi, le travail est énorme. Pourquoi ? A cause de la crise, de la stérilité du PS, du côté fermé ou sectaire des petits partis de gauche…en dépit de l’intérêt de l’écologie politique.

Nous sommes face à une crise de la pensée politique. Moi qui essaye de faire une injection de la pensée en politique, je constate mon échec total ! La chose est plus grave parce que je vois la mort lente du peuple de gauche et du peuple républicain.

Au début du XXe siècle, les instituteurs et les enseignants étaient les porteurs des idées républicaines, des idées de la révolution « liberté, égalité, fraternité » ensuite reprises en charge par le Parti socialiste puis par les communistes dans les écoles de formation. Dans le monde intellectuel, l’intelligentsia était universaliste et porteuse des grandes idées…

Or, c’est fini : les enseignements sont pour la plupart recroquevillés sur des spécialités, on parle de Le Pen aux présidentielles, la situation est grave.

Mais là encore, peut-être peut-on régénérer ceci avec le message d’Hessel. Ou avec celui de Claude Alphandéry, sur l’économie sociale et solidaire qui apporte de nombreuses idées.

Ces idées que nous défendons ont été élaborées dans de petits groupes, avec le docteur Robin, etc. On ne va pas remplacer le capitalisme par un coup de baguette magique mais on peut refouler sa zone de domination absolue. Des idées de monnaie locale ont même été expérimentées. Les idées sont partout, j’ai recueilli dans mon livre les expériences des uns et des autres.

Vous parliez de la croissance qui reste le credo de la classe politique alors qu’elle est l’un des vecteurs de l’aggravation des crises. Etes-vous pour autant converti à la décroissance ?

Non ! Il faut combiner croissance et décroissance. Je suis contre cette pensée binaire qui n’arrive pas à sortir d’une contradiction. Il faut distinguer ce qui doit croître et ce qui doit décroître. Ce qui va croître, c’est évidemment l’économie verte, les énergies renouvelables, les métiers de solidarité, les services étonnamment sous-développés comme les services hospitaliers.

On voit très bien ce qui doit décroître, c’est ce gaspillage énergétique et polluant, cette course à la consommation effrénée, ces intoxications consommationnistes…

Tout un monde d’idées est là, ce qui manque c’est son entrée dans une force politique nouvelle.

En 2008, il y a eu cet emprunt de Nicolas Sarkozy à votre « politique de civilisation ». Que s’est-il passé ?

Edgar Morin chez lui à Paris, en janvier 2011 (Audrey Cerdan/Rue89).C’est un malentendu. Pendant ses vœux, Nicolas Sarkozy a parlé de « politique de civilisation ». Son conseiller, Henri Guaino, qui connaissait au moins le titre, a eu cette idée. Quelques journaux ont dit que j’avais été pillé. Dans Le Monde, j’ai dit que je ne savais pas ce que Nicolas Sarkozy entendais par là et j’ai expliqué ce que j’entendais par « politique de civilisation ».

Comme je n’avais pas été très agressif, j’ai été invité à rencontrer Nicolas Sarkozy à l’Elysée. Il m’a dit que pour lui la civilisation, c’était l’identité, la nation, etc. J’ai expliqué : « C’est lutter contres les maux de notre civilisation tout en sauvegardant ses aspects positifs. » La discussion a été cordiale.

Il s’est trouvé qu’en le quittant, je lui ai dit : « Je suis sûr que dans vos discours, vous êtes sincère les trois quarts du temps, ce qui vous permet le dernier quart de dire autre chose. » C’était une petite blague.

Le lendemain, un journaliste l’interpelle sur la « politique de civilisation » et lui a répondu : « J’ai reçu Edgar Morin hier. Il m’a assuré être d’accord avec les trois quarts de ma politique. » Je n’ai jamais vu autant de micros me solliciter après ça.

En France, j’ai eu une tribune assez importante pour que les gens comprennent que je n’étais pas devenu le féal de Sarkozy mais des amis me téléphonaient d’Italie et d’Espagne en me demandant : « Toi aussi, mon pauvre ami ? »

C’était après Kouchner, Amara… Remarquez, grâce à Sarkozy, le livre a été tiré à des milliers d’exemplaires. Ce qui est dommage, c’est que ça n’a pas eu d’influence du tout sur sa politique. Il n’avait pas compris.

Avez-vous des contacts avec avec des responsables de gauche ?

J’ai reçu le livre d’Arnaud Montebourg. Dans sa dédicace, il dit s’inspirer de certaines de mes idées. Si c’est vrai, je suis content. Ségolène Royal m’a défendu à l’époque du malentendu avec Sarkozy. Elle a montré un exemplaire du livre en disant que c’était ça la vraie politique de civilisation. Mais je n’ai pas de signe d’un renouveau de la pensée politique.

Vous défendez dans « La Voie » la démocratie participative, un concept de Royal.

Elle avait raison. Il y a des exemples au Brésil où la population examine certains budgets… Il doit y avoir je crois comme complément à la démocratie parlementaire et institutionnelle une démocratie de base qui puisse contrôler, voire décider de certains problèmes comme la construction d’un bout d’autoroute, l’installation d’une usine…

Je suis favorable à la démocratie participative mais je sais que ce n’est pas une solution magique. Le risque est que les populations les plus concernées en soit absentes, les vieux, les femmes, les jeunes, les immigrés…

Il y a aussi le risque que ces assemblées soient noyautées par des partis. Cette manie des petits partis trotskistes de toujours noyauter. Ils croient bien faire et en réalité, ils détruisent tout ! Voyez l’altermondialisme.

Souvent aussi, ce sont les forts en gueule qui jouent les rôles les plus importants et beaucoup se taisent. Il y a toute une éducation à faire sur la démocratie participative.

Si on amorce la pompe au renouveau citoyen, les choses peuvent se développer. Il faut créer des instituts où l’on enseigne aux citoyens les grands problèmes politiques. Comme il y a un dessèchement de la démocratie, la régénération de la démocratie compte.

Pourtant, la plus grande difficulté, c’est le désenchantement. Les vieilles générations ont cru à la révolution, au communisme, à la société dite industrielle, à la prospérité, à la fin des crises. Raymond Aron disait : « La société industrielle ferait la moins mauvaise société possible. » Il y avait des espoirs, le socialisme arabe, les révolutions… Tous ces espoirs se sont effondrés.

Au Brésil ou en Chine, cette croyance en la prospérité, la croissance, existent pourtant.

En Amérique latine, la gauche existe sous une forme plurielle. On doit dire les gauches. Lula, Kirchner, Bachelet, Correa… Pas Chavez, je ne dirais pas que c’est la gauche.

Le Brésil, ce grand pays qui a un grand potentiel industriel, met son avenir dans le développement, ce qui est dangereux pour l’Amazonie, etc. Bref, là aussi des modes de pensées sont introduits. Lula est partagé entre ceux qui disent qu’il faut sauvegarder l’Amazonie et ceux qui disent qu’il faut l’exploiter.

Correa ne veut pas exploiter les ressources de pétrole ; Morales en Bolivie reconstitue la société du « bien vivir », du « bien vivre », c’est-à-dire bien vivre avec la« pachamama », la terre mère. C’est tenter les symbioses entre les civilisations traditionnelles et les civilisations occidentales.

Les traditions apportent le rapport avec la nature, ces solidarités de famille, de voisinage, de village, le respect des vieilles générations ; les défauts, c’est souvent l’autoritarisme familial, le conservatisme. L’Occident apporte la démocratie, le droit des hommes et des femmes.

L’élément déclencheur de la popularité de Lula est la « bolsa familia », cette allocation famille pauvre pour permettre aux enfants d’aller à l’école et même pour avoir accès à la consommation. Cette idée commence à être étudiée au Maroc et ailleurs, c’est un moyen de lutter contre la pauvreté. C’est très bien. C’est un continent très vivant.

Mais en Chine, c’est une symbiose entre le capitalisme le plus terrible et l’autoritarisme le plus total ! Mais là aussi il y a des ferments : écologique, de liberté…

Nous parlions du désabusement. Pensez-vous qu’il est propre à l’Occident ou qu’il est global ?

C’est global. Je crois que la perte de la croyance en un progrès comme une voie historique est un des facteurs les plus importants de ce désabusement. Cette croyance, formulée par Condorcet, a été inoculée au monde entier. Or, on a perdu l’avenir. Le lendemain est incertitude, danger et angoisse. Lorsque le présent est angoissé, on reflue vers le passé, l’identité, la religion, d’où le réveil formidable des religions.

On a donné un prix, au jury du Monde dont je fais partie, à une Iranienne qui explique très bien comment une partie de l’intelligentsia de gauche a, après l’échec du Shah, soutenu Khomeiny. Une partie des nouvelles générations se convertit à l’intégrisme religieux dans les pays arabo-musulmans.

Regardez cette crise épouvantable en Tunisie : le régime s’est posé en rempart contre l’intégrisme et il a justifié la répression ainsi. Ils ont réussi à désintégrer les forces démocratiques qui existaient dans le pays. On se rend compte d’une situation tragique.

Vous savez, avec Stéphane Hessel et notre ami Claude Alphandéry, nous sommes des dinosaures. Avec Claude Alphandéry, nous étions résistants puis communistes puis nous nous sommes dégagés du communisme. Lui, malgré ses activités bancaires, n’a pas perdu ses aspirations.

Je l’ai connu après la Libération. Depuis, on s’est retrouvés souvent et on s’est rendu compte qu’on avait conservé nos aspirations, mais qu’on avait perdu nos illusions.

Certains se convertissent au cynisme…

Ou ils passent à droite ou au religieux.

Vous-même êtes un désabusé d’Obama ?

Non ! J’admire et je respecte Obama. L’état régressif du monde a provoqué l’échec de sa politique pour Israël et en Palestine, pour le reste du monde, l’Afghanistan… Il est un peu victime. Cet échec m’attriste mais je ne suis pas désabusé.

Ce que je crains, c’est le déchaînement d’une réaction américaine pire que celle de Bush. Quand on voit ces Tea Party, la réaction des républicains, c’est très inquiétant ! Le diagnostic de régression doit nous inciter à proposer un avenir. Pas un programme, un modèle de société… Non ! Il faut proposer une voie qui peut créer d’autres voies et cette voie peut créer la métamorphose. C’est le versant optimiste d’un constat pessimiste !

Vous dites que le désenchantement est la perte de la croyance au progrès. C’est proche du désenchantement lié à l’approche de sa propre mort…

Jamais il n’y a eu cette communauté de destin pour toute l’humanité, tous les humains ont les mêmes menaces mortelles, les mêmes problèmes de salut. La mondialisation est la pire et la meilleure des choses pour cela…

Le problème de la mort, je m’y suis intéressé dans « L’Homme et la mort ». Derrière cet intérêt, il y avait la mort de ma mère quand j’avais 10 ans, un événement atroce et absurde, puis mes amis proches morts fusillés ou déportés…

Bien sûr, vie et mort sont deux ennemis, mais la vie réussit à lutter contre la mort en s’aidant de la mort. Quand nous mangeons des animaux, nous les tuons. Nos cellules meurent sans arrêt et sont remplacées par des cellules jeunes. Cette dialectique permanente de la vie et de la mort où la mort triomphe à la fin sur des individus, voire sur la vie avec la mort du Soleil, cela ne fait que renforcer l’idée de l’importance du vivre.

On peut refouler les angoisses de mort par l’intensité de la vie, des forces de vie qui sont des forces d’amour, de poésie, d’art de communion. Il n’y a pas d’autre réponse donnée à la mort que celle de pouvoir vivre sa vie. Sauf pour ceux qui croient en une vie après la mort.

Vous insistez sur l’idée de la métamorphose, avec la parabole de la chenille et du papillon. Est-ce une version différente de la vie après la mort ?

Non. Après la mort, il y a soit la résurrection dans le christianisme ou l’islam, soit la réincarnation. Mon idée, c’est que quelque chose se passe sur Terre. Il n’y a pas seulement les nombreuses métamorphoses dans le monde animal, chez les batraciens, les insectes, mais aussi chez l’homme. Nous-mêmes, quand nous sommes fœtus, nous nous métamorphosons. Nous passons d’un état liquide à l’air.

Historiquement, l’humanité toute entière a connu la métamorphose ; des sociétés de chasseurs en quelques points du globe aux premières cités, l’agriculture, les grandes religions, les œuvres d’art, les techniques, la philosophie… Dès l’apparition des grands empires à aujourd’hui, ce sont de formidables métamorphoses.

Aujourd’hui, nous devons arriver à une métamorphose post-historique, à une civilisation planétaire dont on ne peut pas prévoir la forme. Je reste donc dans un univers très terrestre, pour ne pas dire terrien.

Est-ce que le conflit au Proche-Orient n’est pas le symbole des maux de la civilisation actuelle ?

Tout à fait. Il les porte même à son paroxysme. Deux nations se sont formées sur le même territoire, deux nationalismes se sont formés et ils tendent tous deux à prendre une coloration de plus en plus religieuse.

Beaucoup se demandent ce qu’est cette histoire face aux drames du Soudan… Ce n’est pas ainsi qu’il faut poser la question parce qu’elle considère des millions de musulmans, de juifs, de chrétiens à cause de Jérusalem. Je l’ai pensée comme une sorte de cancer, quelque chose qui produit des métastases : l’antijudaïsme dans le monde musulman se nourrit de l’antisémitisme occidental qui lui s’atténue au profit de l’anti-arabisme.

Cette histoire a aggravé la situation mondiale. Ce n’est pas le seul facteur du manichéisme et de l’intégrisme, mais c’est une dégradation générale, c’est sûr.

Nous retirons notre mot de pessimisme…

Il faut conjuguer optimisme et pessimisme. C’est cela la pensée complexe, c’est unir des notions qui se repoussent.

Edgar Morin chez lui à Paris, en janvier 2011 (Audrey Cerdan/Rue89).

Zineb Dryef et Pierre Haski

Photos : Edgar Morin chez lui à Paris, en janvier 2011 (Audrey Cerdan/Rue89).

 

Mariage « orfi » : ces Egyptiens qui s’unissent en secret

In Société on 13 novembre 2010 at 11 h 20 min

Par Nathalie Cattaruzza | Causette | 13/11/2010 | 11H22

Jamais avant le mariage  ! En Egypte, les noces, enregistrées devant le maazoun (l’officier d’état civil), marquent l’entrée des jeunes gens dans la vie sexuelle.

Mais les difficultés toujours plus importantes pour répondre aux conditions financières exigées par le mariage (appartement, dot, bijoux de fiançailles…) allongent indéfiniment la période d’abstinence et poussent les jeunes à s’unir en secret. Deux époux, deux témoins, un contrat : voilà les prétendants mariés orfi prêts à vivre pleinement leur relation avec la bénédiction de Dieu.

« Les voisins ne savent pas qu’on vit dans le même appartement »

Sadeq, 31 ans, et sa collègue Samia, 27 ans, se connaissent et se fréquentent depuis quatre ans. Ils se sont mariés orfi l’année dernière après que le père de la jeune fille s’est, une fois de plus, opposé à leur mariage.

Sadeq n’est pas le gendre idéal. Et pour cause : son salaire de comptable et son appartenance à la classe moyenne ne lui permettent pas de proposer, en plus de son amour, un bel appartement pour abriter sa future famille. Alors le couple fait comme il peut, en attendant le jour où il y aura assez d’argent pour renouveler la demande au père.

Avant, ils se voyaient chez des amis, mais depuis le décès de sa mère, le jeune homme a la jouissance d’un appartement pour lui seul. Samia le rejoint dès qu’elle le peut, toujours en catimini. Sadeq raconte :

«  Les voisins ne savent pas qu’on vit dans le même appartement. Je fais très attention pour que personne ne la voie entrer et sortir. Je l’appelle au téléphone pour lui confirmer que la voie est libre. Tout est fait dans le secret. Ce n’est pas facile du tout, on a tout le temps peur que quelqu’un frappe à la porte.  »

Samer, son meilleur ami et témoin, a 33 ans. Lui s’est marié orfi à trois reprises, mais «  par la grâce de Dieu, il n’y a pas eu d’enfant  !   »

A chaque fois, un même scénario s’est répété. Quand l’histoire s’est terminée, il a déchiré le contrat avec l’épouse et versé 1 000 livres égyptiennes en compensation, l’équivalent de quatre mois d’un salaire moyen. La jeune fille a récupéré sa liberté et, comme c’est souvent le cas, probablement utilisé cet argent pour retrouver chirurgicalement une virginité factice, se marier et fonder une famille.

4 100 mariages orfi en 2008, dont 17% d’étudiants

A l’instar de Sadeq et de Samer, ce sont les jeunes et les étudiants qui, de plus en plus, succombent aux sirènes de l’amour secret tandis que les écrans, petits et grands, diffusent en boucle des histoires de mariages. Les jeunes filles sont les premières spectatrices de ces séries sentimentales.

C’est précisément cette population que Fawziya Abd El Aal, avocate travaillant pour le Centre égyptien des droits des femmes, accueille durant ses permanences :

«  Je tente d’alerter les filles des dangers de ce mariage. Le centre dispense pour cela des cours de sensibilisation. Bien sûr, nous sommes complètement hostiles au mariage orfi. Si le mari peut payer un véritable mariage dans quelques années, alors pourquoi pas  ? Mais pour la plupart des femmes, cela se termine par un problème.  »

Elle poursuit :

«  Le mariage orfi est devenu un vrai phénomène récemment, avec 4 100 mariages contractés en 2008, dont 17% le seraient par des étudiants.  »

Des chiffres qui révèlent la tension croissante entre une société figée et une population aspirant à vivre sa jeunesse pleinement.

Aux abords de l’université du Caire, dans le quartier de Gizeh, on peut acheter un contrat orfi pour un prix très modique, de 3 à 10 livres, pouvant monter jusqu’à 50 livres. Les acheteurs, essentiellement des garçons, viennent à la nuit tombée, persévérant pour trouver le bon vendeur.

Traditionnellement, ce sont des hommes entre deux âges qui ont le plus souvent recours au mariage secret afin de s’unir à une femme sans le consentement de leur première épouse. Ou des veuves qui ne veulent pas perdre la pension de leur mari décédé.

Mais il faut aussi compter sur le tourisme sexuel. Les visiteurs arabes du Golfe s’amusent à prendre, le temps de leurs vacances au Caire, une jeune paysanne illettrée pour «  épouse  » moyennant une certaine somme d’argent. Sans oublier les Françaises qui tombent amoureuses de leur guide au goût exotique et n’hésitent pas à signer le contrat.

Une timide reconnaissance publique et légale

Pour les Egyptiens, si soucieux de bonne moralité, le mariage orfi est la porte ouverte à tous les abus. Le début de la fin. Pour Raafat, 46 ans, directeur d’une école privée de langues, «  c’est un terrible désastre  ». Quant à Rima, étudiante de 21 ans habitant les beaux quartiers, son avis sur les femmes mariées orfi est sans appel : «  Les filles qui font ça sont des putes  !   »

Car si le mariage orfi permet aux conjoints de ne pas être inquiétés par la police en cas de dénonciation et de prendre une chambre double à l’hôtel, il n’offre aucun droit aux femmes, notamment en cas d’abandon, pas même celui d’annuler le mariage si elles n’ont pas conservé le contrat.

Aujourd’hui, au tribunal des affaires familiales de Znanery, au Caire, des dizaines de femmes arpentent les couloirs, attendant que la cour statue sur le cas de leur mariage orfi.

A l’instar de Fatima, 22 ans, assistante d’avocat et mère d’un petit garçon de 3 ans issu d’un mariage orfi, elles sont là pour demander l’annulation officielle du mariage secret. Ce qui leur permettra d’éventuellement se remarier et de demander une reconnaissance de paternité et une pension alimentaire pour leur enfant.

Divorce, paternité, mais pas de pension alimentaire

Il y a encore quelques années, seules les femmes occidentales osaient s’engager dans un tel procès. Mais Hind El Hinnawy a changé la donne. Il y a six ans, cette jeune architecte d’intérieur s’est battue sur la place publique, au tribunal et dans les médias, contre son époux orfi afin qu’il reconnaisse leur fille, Lina.

Fils d’acteurs célèbres et lui-même acteur et animateur télé, Ahmad Fishawi, qui affiche sa dévotion à l’islam, a longtemps refusé de reconnaître leur union secrète, avant de perdre la bataille.

Si aujourd’hui Fatima fait face au tribunal, c’est, affirme-t-elle, grâce à l’exemple de Hind El Hinnawy : «  Avec elle, j’ai compris que c’était possible de demander que justice soit faite et de gagner.  »

Depuis 2000, Fatima et ses compagnes d’infortune sont autorisées à demander légalement le divorce et la reconnaissance de paternité pour leurs enfants. Mais pour le reste, elles ne peuvent compter que sur elles-mêmes : pas de pension alimentaire ni d’arriérés de la dot.

De nouvelles voix pour aborder la question du mariage orfi

Dans l’espace public, sur la toile et dans les médias, les langues commencent lentement à se délier et les esprits à s’ouvrir. On observe une timide sensibilisation à l’éducation amoureuse, bien que toujours dans le cadre du mariage. D’ailleurs, on parle de «  conseil matrimonial  » et non pas d’«  éducation sexuelle  ».

La sexologue Heba Kotb a été la première, avec son émission télévisée «  Kalam Kebir  » («  La Grande discussion  »), à aborder la question de la sexualité en répondant à des questions de téléspectateurs. Une sorte de Dr Ruth égyptienne version jeune, jolie, et voilée.

De son côté, le très charismatique Dr Medhat Abdelhady milite pour la création d’une école du mariage. Ses conférences sont suivies aussi bien par des grands-mères accompagnées de leurs petites-filles que par des femmes seules portant le voile intégral ou des hommes.

Pour lui, la seule manière de combattre les nouveaux maux de la société égyptienne, le mariage orfi, l’augmentation des divorces et le harcèlement physique des femmes, c’est l’apprentissage de la communication dans le couple et le choix éclairé de son conjoint.

Derrière la complexité du mariage orfi où s’entremêlent le juridique, le religieux et le social, c’est le statut de la femme qui est en jeu. Son autonomie. Toujours considérée comme «  la femme de  », «  la fille de  », «  la sœur de  », on lui offre une protection là où il faudrait lui proposer l’émancipation. Un tabou peut-être plus grand encore que celui qui entoure la sexualité.

Surveillance téléphonique : Matignon contourne la loi

In Société on 13 novembre 2010 at 10 h 55 min

Par Zineb Dryef | Rue89 | 28/09/2010 | 18H55

Alors que Brice Hortefeux assurait ce mardi après-midi dans l’hémicycle qu’« aucune écoute n’est illégale » en France, Le Canard Enchaîné, à paraître mercredi, révèle une lettre classée confidentielle émanant du directeur de cabinet de François Fillon. Elle permet aux services de police et de renseignement d’accéder à la liste des appels passés depuis un téléphone et ce, hors de tout contrôle, ce qui est contraire à la loi de 1991 encadrant les écoutes. Matignon dément.

Les policiers n’ont plus à demander l’autorisation des opérateurs de téléphonie pour obtenir les factures détaillées et les relevés de géolocalisation de leurs clients. Ils n’ont pas non plus à demander l’autorisation de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS) pourtant mise en place pour cela.

L’hebdomadaire a eu connaissance de deux documents classifiés « confidentiel-défense » :

  • Un compte-rendu d’une séance plénière de la CNCIS du 21 janvier, laquelle autorise les ministères de l’Intérieur et de la Défense à se procurer des « données techniques » des abonnés sans autorisation de la part de leurs opérateurs.
  • Une lettre signée Jean-Paul Faugère, directeur de cabinet de François Fillon, du 17 février, qui autorise la police à accéder aux factures détaillées (les « fadettes ») de n’importe qui sans en avertir qui que ce soit.

Ce tour de passe-passe a étonnamment échappé aux membres de la Commission. Interrogés par Le Canard, Hubert Haenel, ancien sénateur UMP et le député PS Daniel Vaillant déclarent n’en avoir aucun souvenir.

Contacté par Rue89, Matignon dément :

« La commission a donné un avis dans lequel elle veut baisser le niveau des contrôles techniques. A la suite, le cabinet a exécuté. On conteste qu’il y a eu une instruction visant à baisser le niveau de contrôle. Le cabinet a relayé. Le contenu de ces documents est classé, on ne peut pas le révéler. »

« La stricte consigne de ne jamais répondre directement à des services de police »

Cette affaire intervient tandis que le directeur général de la police nationale, Frédéric Péchenard, peine à justifier l’enquête menée par la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) qui a abouti à l’identification, à la sanction, et à la garde à vue d’une supposée source du quotidien Le Monde, le magistrat David Sénat.

Alors que la police avait affirmé avoir eu l’autorisation de la CNCIS, le délégué général de cette Commission avait formellement démenti :

« Dans le cas d’espèce, une telle requête n’aurait pu passer le filtre de la personnalité qualifiée, puisque [la Commission] ne peut agir que dans le cadre de la prévention du terrorisme, conformément à l’article 6 de la loi de 2006.

Elle n’entre pas non plus dans le périmètre de ce que la CNCIS autorise, lorsqu’elle est sollicitée selon la voie habituelle. »

Selon Le Monde, la CNCIS avait rappelé au Premier ministre que les opérateurs téléphoniques ont « la stricte consigne de ne jamais répondre directement à des services de police ».

► Mis à jour le 29/09/2010 à 12h37. Avec la réaction de Matignon.

Affaire Bettencourt: De 1987 au 8 Novembre 2010

In Inclassable, Société on 9 novembre 2010 at 16 h 42 min

Par Europe1.fr

Publié le 6 juillet 2010 à 21h26 Mis à jour le 8 novembre 2010 à 17h27

Liliane Bettencourt, lors d’une cérémonie à l’Elysée, en 2005. © MAXPPP 

CHRONOLOGIE – Vous avez perdu le fil ? Europe1.fr vous aide à faire le point sur l’affaire.

8 novembre : Un ancien chauffeur de l’héritière de L’Oréal, Liliane Bettencourt déclare au site internet Mediapart qu’une employée lui a parlé d’une demande d’argent de Nicolas Sarkozy à la milliardaire en 2007. Dans cet entretien publié lundi par le site d’information, Dominique Gautier explique avoir recueilli fin 2006 ou début 2007 cette confidence de Nicole Berger, ancienne gouvernante aujourd’hui décédée.

29 octobre : Sur Europe 1, le procureur de Nanterre Philippe Courroye annonce qu’il enclenche le jour même la procédure permettant la désignation d’un ou plusieurs juges d’instruction dans l’affaire Bettencour par le biais de l’ouverture d’une information judiciaire.

26 octobre : le procureur général de Versailles, Philippe Ingall, ordonne au procureur de Nanterre, Philippe Courroye, l’ouverture d’informations judiciaires sur les volets de l’affaire Bettencourt concernant Eric Woerth. Ce sont désormais tous les volets de l’affaire Bettencourt qui doivent être « dépaysés ».

24 octobre : les ordinateurs de deux journalistes, l’un du Monde et l’autre du Point, sont volés dans les locaux de leur rédaction. Tous deux travaillaient sur l’affaire Bettencourt.

23 octobre : Philippe Ingall, le procureur général de Versailles, demande le dépaysement de la procédure pour « abus de faiblesse » visant François-Marie Banier. Ce dossier était confié à la juge Prévost-Desprez, en guerre ouverte avec le procureur de Nanterre, Philippe Courroye.

22 octobre : Liliane Bettencourt se dit « prête à la bagarre » avec sa fille Françoise Meyers-Bettencourt contre laquelle elle a porté plainte pour « violences morales », dans l’extrait d’un entretien à Europe 1.

20 octobre : Liliane Bettencourt annonce avoir porté plainte contre sa fille pour « violences morales ».

14 octobre : Dans une lettre adressée le 11 octobre au procureur de la République, Philippe Courroye, Isabelle Prévost-Desprez, soupçonne l’avocat de la milliardaire, Me Georges Kiejman, d’avoir dissimulé des documents médicaux.

10 octobre : Dans une lettre manuscrite, Liliane Bettencourt affirme qu’elle envisage des poursuites judiciaires pour mettre fin au « harcèlement » dont elle s’estime victime de la part de sa fille, Françoise Meyers-Bettencourt. L’héritière de l’Oréal a fait ses nouvelles révélations suite à une information dans la presse sur une nouvelle demande de tutelle de sa fille.

6 octobre : François-Marie Banier aurait dû hériter de l’île d’Arros aux Seychelles, selon une lettre écrite par Liliane Bettencourt à sa fille, qui n’aurait dû être révélée qu’après sa mort.

4 octobre : Le site lepoint.fr révèle qu’un aide-mémoire destiné à aider la milliardaire à répondre aux questions de la police, en cas d’audition, a été rédigé par l’entourage de Liliane Bettencourt. L’avocat de la fille de la milliardaire dénonce « une subornation de témoin ».

28 septembre : David Sénat, l’ancien conseiller de Michèle Alliot-Marie au ministère de la Justice, est placé en garde à vue dans le cadre de l’affaire dite Visionex. Mais les enquêteurs auraient découvert à son domicile des documents sur l’affaire Woerth-Bettencourt.

27 septembre : Le procureur général de la Cour de cassation, Jean-Louis Nadal, annonce avoir décidé pour l’instant de ne pas saisir la Cour de justice de la République. Mais il demande l’ouverture d’une information judiciaire et la désignation d’un juge d’instruction.

20 septembre : L’Oréal annonce avoir rompu le contrat qui le liait à François-Marie Banier et qui comprenait le versement de quelque 700.000 euros par an. Cause invoquée par le groupe de cosmétiques : le « bruit médiatique » de l’affaire Bettencourt.

1 4 septembre : La cour d’appel de Versailles valide l’enquête à propos des révélations d’enregistrements clandestins de la juge d’instruction Isabelle Prévost-Desprez. L’avocat de Liliane Bettencourt, Me Matthieu Boccon-Gibod, annonce immédiatement son intention de se pourvoir en cassation.

13 septembre : Le quotidien Le Monde annonce qu’il va porter plainte contre X pour violation de la loi sur la protection du secret des sources. Le journal du soir accuse directement l’Elysée en Une.

12 septembre : Les services secrets confirment avoir enquêté sur l’affaire Bettencourt, pour connaître d’où venaient les fuites dans la presse.

9 septembre : Des policiers se rendent au siège de l’UMP pour une première perquisition. Ce qu’ils recherchaient ? Une éventuelle trace de réception d’un courrier daté du 12 mars 2007, signé Eric Woerth et adressé à Nicolas Sarkozy, au sujet de l’attribution de la Légion d’honneur à Patrice de Maistre.

6 septembre : Le contenu d’une lettre envoyée par Eric Woerth à Nicolas Sarkozy révèle que Patrice de Maistre a lui-même demandé au ministre du Travail a être décoré, selon le Monde et Mediapart. Pourtant le gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt nie toute intervention directe auprès d’Eric Woerth. Les deux hommes se contredisent.

4 septembre : Deux lettres de remerciements de Patrice de Maistre au ministre Eric Woerth, qui a reconnu il y a deux jours être intervenu pour l’attribution de la Légion d’honneur au gestionnaire de la fortune de Liliane Bettencourt, ont été saisies par les enquêteurs, assure le JDD.

3 septembre : Une lettre confirme que l’ex-comptable de Liliane Bettencourt fournissait des informations à la fille de l’héritière. Un élément sur lequel s’appuie l’avocat de Liliane Bettencourt pour parler de « pacte de corruption » et remettre en cause les déclaration de l’ex-comptable.

2 septembre : Eric Woerth reconnaît devant l’Association des journalistes économiques et financiers (AJEF), qu’il a bien écrit une lettre pour demander la Légion d’honneur pour Patrice de Maistre, le gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt. De son côté, Pascal Wilhelm, l’avocat de Patrice de Maistre, dément l’existence de « petits papiers » rédigés par l’entourage de la milliardaire pour lui indiquer que répondre aux questions des enquêteurs. Enfin, le jdd.fr révèle que Laurent Solly, ancien directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy au ministère de l’Intérieur, a été entendu par la brigade financière.

1er septembre : A la demande de la juge Isabelle Prévost-Desprez, les policiers procèdent à une perquisition au domicile de Liliane Bettencourt, à Neuilly-sur-Seine. Dans une lettre à la presse, l’héritière de l’empire L’Oréal, se dit « outrée » par cette perquisition.

30 août : Selon l’Express.fr, Eric Woerth serait bien intervenu auprès de Nicolas Sarkozy, dans l’attribution, en mai 2007, de la Légion d’honneur à Patrice de Maistre, futur employeur de son épouse, Florence Woerth, et gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt.

29 août : Le procureur général près la Cour de Cassation, Jean-Louis Nadal, a annoncé son intention de saisir la Cour de justice de la République concernant le ministre du Travail, Eric Woerth.

28 août : L’avocat de Liliane Bettencourt fait savoir que la milliardaire a modifié son héritage, François-Marie Banier n’est plus son légataire universel.

27 août : L’Ordre des médecins annonce vouloir entendre les médecins qui entourent l’héritière de L’Oréal, pour vérifier son état de « vulnérabilité » physique et psychologique.

25 août : Le gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt, Patrice de Maistre, était à nouveau entendu mercredi matin par la police sur les modalités d’attribution de sa Légion d’honneur.

16 août : Le ministre du Travail est embarrassé par deux nouvelles affaires, toutes deux révélées par le site Mediapart, à l’origine de la polémique. Son entourage dénonce un « acharnement ».

4 août : Libération révèle qu’Eric Woerth serait intervenu pour alléger un redressement fiscal dans le cadre de la succession du sculpteur César.

30 juillet : Patrice de Maistre, le gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt a, de nouveau, été placé en garde à vue, selon les informations du Monde.

29 juillet : Eric Woerth a été entendu par la police dans l’enquête sur la fortune de l’héritière de L’Oréal Liliane Bettencourt. Le ministre du Travail a tout nié en bloc.

28 juillet : une perquisition a eu lieu mercredi matin au domicile de Françoise Bettencourt-Meyers, fille de l’héritière de L’Oréal, à Neuilly-sur-Seine. La police a notamment saisi des agendas lui appartenant.

26 juillet : Liliane Bettencourt est auditionnée pendant plus de deux heures par les policiers de la brigade financière. Le même jour, le bureau du secrétariat de la milliardaire a été perquisitionné.

24 juillet : Dans une interview au Journal du Dimanche, Patrice de Maistre jure ne pas avoir embauché Florence Woerth sur ordre de son mari. Il écarte par ailleurs toute idée de financement occulte. Par ailleurs, de nouvelles perquisitions ont eu lieu, à l’hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière.

21 juillet : Florence Woerth est entendue par la brigade financière.

19 juillet : Le parquet annonce que Liliane Bettencourt sera prochainement entendue dans le cadre de l’enquête sur les écoutes pirates. De son côté Eric Woerth répète qu’il n’a pas favorisé l’embauche de sa femme.

17 juillet : Patrice de Maistre, gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt, déclare qu’Eric Woerth est intervenu auprès de lui juste avant l’embauche de sa femme en 2007, selon le procès-verbal de sa déposition de police dont Le Monde publie des extraits.

16 juillet : l’hebdomadaire Marianne publie la copie d’un chèque de 100.000 euros. L’ex-comptable de Liliane Bettencourt, Claire Thibout, assure avoir effectué un retrait en espèces de 100.000 euros à la demande de la milliardaire en décembre 2006, soit quatre mois avant la présidentielle de 2007. Dans le dossier « évasion fiscale », les quatre membres de l’entourage de la milliardaire ont finalement vu leur garde à vue levée après 36 heures d’audition.

15 juillet : quatre personnes, dont François-Marie Banier et Patrice de Maistre, sont placées en garde à vue.

14 juillet : Françoise Bettencourt-Meyers dépose une nouvelle demande de placement sous tutelle de sa mère. Cette dernière lui répond en dénonçant un « acharnement » et annonce un « audit indépendant » de sa fortune. Dans le même temps, Patrice de Maistre s’explique sur les 5 millions d’euros que lui donné l’héritière du groupe L’Oréal : il s’agit d’une « retraite » pour le gestionnaire de fortune. Parallèlement, Eric Woerth est accusé d’irrégularité dans la vente de l’hippodrome de Compiègne, qu’il aurait bradé alors qu’il était encore ministre du Budget. L’information a été démentie par le ministre.

13 juillet : La cour d’appel de Versailles rejette l’appel formulé par le procureur de Nanterre Philippe Courroye contre le supplément d’information confié à la juge Isabelle Prévost-Desprez. cette décision laisse à la magistrate indépendante le champ libre pour mener une enquête sur l’abus de faiblesse présumé perpétré par François-Marie Banier à l’encontre de la milliardaire.

12 juillet : Sur Europe 1 et pour la première fois, le ministre du Travail Eric Woerth évoque une démission de son poste de trésorier de l’UMP.

11 juillet : dans son rapport , l’Inspection générale des finances affirme que l’ancien ministre du Budget n’a jamais demandé ou empêché un contrôle fiscal sur Liliane Bettencourt.

10 juillet : Eric Woerth demande dimanche dans le JDD à être entendu par la justice « le plus rapidement possible ». Objectif ? Démontrer son innocence. « J’ai besoin de cela. Il faut expliquer, c’est ce que j’essaye de faire depuis trois semaines ».

9 juillet : la brigade financière procède à une perquisition au domicile de Patrice de Maistre, le gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt, et dans les bureaux de la société Cylmène. Le parquet de Nanterre annonce l’ouverture d’une troisième enquête préliminaire, cette fois sur des soupçons de blanchiment de fraude fiscale et de conflit d’intérêts.

8 juillet : l’ex-comptable de Liliane Bettencourt, Claire Thibout, de nouveau entendue par la police, est confrontée pour la première fois à Patrice de Maistre, le gestionnaire de fortune de la milliardaire. L’ancienne comptable se rétracte partiellement, mais elle maintient un certain nombre d’accusations, notamment contre Eric Woerth. Mediapart dit maintenir sa première version. Florence Woerth, la femme du ministre, dit elle vouloir être entendue par les enquêteurs « dans les meilleurs délais ».

7 juillet : le procureur de Nanterre annonce l’ouverture d’une nouvelle enquête préliminaire sur les affirmations de Claire Thibout, l’ex-comptable de Liliane Bettencourt. Cette dernière dit avoir retiré 50.000 euros en espèces fin mars 2007 à la demande du gestionnaire de fortune de l’héritière, Patrice de Maistre. Selon LeMonde.fr, les enquêteurs auraient retrouvé les carnets dans lesquels elle consignait ces opérations. De son côté, Eric Woerth annonce qu’il va porter plainte contre X pour dénonciation calomnieuse.

6 juillet : une ex-comptable de Liliane Bettencourt, qui a travaillé douze ans à son service, affirme dans une interview à Mediapart qu’Eric Woerth a reçu, en tant que trésorier de l’UMP, 150.000 euros en liquide pour financer la campagne de Nicolas Sarkozy au printemps 2007. Le ministre du Travail rétorque quelques heures plus tard : « je n’ai jamais reçu le moindre euro illégal ».

5 juillet : le procureur de Nanterre indique qu’il veut enquêter pour connaître notamment les conditions dans lesquelles Florence Woerth, l’épouse du ministre, a été embauchée pour travailler auprès de Liliane Bettencourt, dans la société Clymène qui gérait sa fortune.

2 juillet : Liliane Bettencourt sort de son silence. Dans une interview à TF1, la milliardaire défend son ami François-Marie Banier, « un homme très intelligent », soupçonné d’abus de faiblesse. Mais l’octogénaire peine à s’expliquer sur le fond de l’affaire, notamment sur les soupçons d’évasion fiscale.

1er juillet : le procès de François-Marie Banier s’ouvre pour quelques heures avant d’être renvoyé sine die. Un supplément d’enquête est demandé. Au cours de l’audience, la représentante du parquet admet avoir informé par avance le gouvernement de sa décision future de classer sans suite une plainte de la fille de Liliane Bettencourt visant les dons d’un milliard d’euros qu’elle a fait à son ami François-Marie Banier.

30 juin : Le Nouvel Observateur révèle que Patrice de Maistre, le gestionnaire et homme de confiance de Liliane Bettencourt, a retrouvé trace de quatre chèques de la milliardaire, dont l’un établi pour l’association de financement de l’association de soutien à l’action d’Eric Woerth (AFASAEW) en mars 2010″.

29 juin : dans une interview au Figaro , Philippe Parini, le directeur général des finances publiques, assure qu’Eric Woerth, quand il était ministre du Budget, n’a donné aucune instruction dans l’affaire Bettencourt.

25 juin : Eric Woerth annonce qu’il a autorisé un contrôle fiscal sur François-Marie Banier, l’ami de Liliane Bettencourt, quand il était ministre du Budget.

21 juin : Eric Woerth annonce que sa femme va démissionner « dans les prochains jours » de la société Clymène. Liliane Bettencourt indique, elle, la régularisation fiscale de ses avoirs à l’étranger.

18 juin : Liliane Bettencourt et François-Marie Banier portent plainte pour « atteinte à la vie privée » après la publication d’extraits d’enregistrements pirates.

16 juin : le site Mediapart révèle des enregistrements pirates réalisés entre mai 2009 et mai 2010 par le maître d’hôtel de Liliane Bettencourt. Ils mettent au jour des opérations financières destinées à échapper au fisc, des immixtions de l’Elysée dans la procédure judiciaire, et des liens troubles entre la milliardaire, le ministre du Travail Eric Woerth et son épouse Florence, qui travaille pour la société Clymène.

Février 2010 : l’héritière de L’Oréal adresse une lettre aux trois experts judiciaires chargés de l’examiner dans laquelle elle refuse une nouvelle fois de se soumettre à l’expertise neurologique ordonnée par le juge. Le 23, le tribunal repousse le procès à juillet.

Décembre 2009 : la fille de Liliane Bettencourt saisit un juge des tutelles pour obtenir la protection judiciaire de sa mère. La demande est refusée le 9 décembre.

Août 2009 : le photographe François-Marie Banier porte plainte contre X pour « diffamation » devant le tribunal de grande instance de Paris.

Février 2009 : à sa demande, Liliane Bettencourt est examinée par un psychiatre. Le certificat médical conclut à sa « parfaite santé d’esprit ».

Septembre 2008 : François-Marie Banier est placé en garde à vue par la brigade financière de la PJ parisienne.

Décembre 2007 : Françoise Bettencourt-Meyers porte plainte contre X pour « abus de faiblesse » à l’égard de sa mère, Liliane. Des faits passibles de trois ans de prison et 375.000 euros d’amende.

1996-2007 : en l’espace de 11 ans, près d’un milliard d’euros de dons sont enregistrés à l’attention de François-Marie Banier. Ils prennent la forme de transferts de titres de sociétés immobilières et de tableaux de maître, pour une valeur globale estimée à 20 millions d’euros. Parmi les toiles, on trouve entre autres « Nature morte à la guitare » de Picasso, « L’homme à la pipe » de Fernand Léger et un « Grand nu debout » de Matisse.

1987 : Liliane Bettencourt, héritière de L’Oréal, rencontre le photographe François-Marie Banier. Elle accepte de poser pour le photographe qui réalise un portrait pour la revue chic Egoïste.

La pauvreté touche de plus en plus d’actifs

In Economie, Société on 9 novembre 2010 at 11 h 12 min

Par Marion Brunet 09/11/2010

Un bénévole du Secours Catholique (à gauche) distribue des colis de nourriture de la Banque Alimentaire, le 4 décembre 2009 à Saint-Eloy-les-Mines. AFP
Un bénévole du Secours Catholique (à gauche) distribue des colis de nourriture de la Banque Alimentaire, le 4 décembre 2009 à Saint-Eloy-les-Mines. AFP

En 2009, le Secours catholique a aidé 80.000 personnes de plus qu’en 2008. Parmi eux, de plus en plus de travailleurs pauvres et de couples avec enfants.

Près d’1,5 million de personnes ont eu recours à l’aide du Secours catholique en 2009. Soit 80.000 de plus qu’en 2008. Après une baisse observée en 2007, le nombre de situations de pauvreté a augmenté de 2,1% l’an dernier pour la seconde année consécutive, selon un rapport de l’organisation catholique publié mardi. Parmi les personnes concernées : les chômeurs, les étrangers sans ressources, mais aussi les salariés et les ménages. Leur point commun ? L’extrême faiblesse de leurs ressources, insuffisantes pour faire face aux dépenses courantes et aux imprévus. 

«La crise socio-économique et l’impact sur l’emploi rendent encore plus incertaine l’amélioration des conditions de vie et fragilise davantage les personnes», décryptent les auteurs du rapport. «Toutes ces personnes en difficultés ne sont pas de mauvais gestionnaires», souligne pour sa part Pierre Levené, le secrétaire général du Secours catholique. C’est «l’insuffisance de leurs ressources, absolument criante», qui est en cause, argue-t-il. «On est proche du scandale de laisser autant de gens avec si peu».

Dans 94% des cas, les personnes aidées vivent sous le seuil de pauvreté, établi à 950 euros par mois. Près d’un tiers (29%) sont de nationalité étrangère. La pauvreté touche aussi les jeunes : parmi les personnes recensées, 11% ont moins de 25 ans et la moitié moins de 40 ans. Mais de plus en plus d’actifs sont également touchés puisqu’ils représentent 62 % des personnes accueillies, parmi lesquelles des demandeurs d’emploi. «Ce sont des gens qui ont des revenus et qui, en d’autres temps, ne seraient pas venus nous voir», explique François Soulage, le président du Secours catholique, pour qui le revenu de solidarité active (RSA), créé en 2008 pour rendre l’emploi plus attractif, n’a pas changé la donne.

Le revenu mensuel médian des ménages à 759 euros

Autre fait marquant : la part des couples avec enfants en «situation de pauvreté» a augmenté en 2009. Ils représentent désormais 21,8% des situations rencontrées, contre 20,5% en 2008. «Lorsqu’un des deux adultes perd son emploi, la famille peut se trouver rapidement en difficulté», indique le rapport.

Le Secours catholique a tenté de mieux comprendre la situation des personnes en difficulté en analysant en détail le budget mensuel de 1.163 foyers. L’organisation évalue le revenu mensuel médian à 759 euros, hors aides au logement. «Nous avons été surpris par le résultat : pas une famille qui ne soit en déficit en fin de mois», affirme François Soulage. Ils n’ont aucun degré de liberté».

Les dépenses incompressibles – loyers, énergie, eau, mutuelles et assurances, impôts, transports, scolarité – représentent 515 euros, soit 68% du budget. Les dépenses de la vie courante (alimentation et habillement) sont quant à elle évaluées à 265 euros. Alors qu’à la fin du mois les comptes sont donc déjà dans le rouge (- 21 euros), il reste encore à financer, souvent par le crédit, les dépenses imprévues (pannes, problème de santé) et les dépenses «souples» (entretien du logement, du véhicule, loisirs). Le solde plonge alors à – 141 euros.

«En l’absence de revenus complémentaires, aucun des ménages que nous aidons ne peut faire face, sans basculer dans l’endettement, à ces charges exceptionnelles», concluent les auteurs du rapport. «Ils vivent au jour le jour sans souvent faire valoir leurs droits à des dispositifs qui pourraient les aider, faute notamment d’information suffisante (tarifs sociaux de l’énergie, CMU, RSA, etc.) ou par crainte d’être stigmatisés», souligne le rapport. Face à ce constat, le Secours catholique a dressé une liste de propositions: «créer un environnement plus porteur» pour les actifs avec davantage de places en crèche et de transports en milieu rural, relever les minima sociaux et revaloriser les aides publiques au logement ou encore favoriser les contrats à temps plein et la formation.

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Londres veut faire travailler ses chômeurs gratuitement

In Société on 9 novembre 2010 at 10 h 51 min

Faire travailler gratuitement les 1,4 million de demandeurs d’emploi longue durée que compte l’Angleterre. Le Premier ministre britannique, David Cameron, ne manque pas d’idées pour lutter contre le chômage qui touche 5 millions de personnes au Royaume-Uni. Cette mesure, qui n’est pas nouvelle, figure dans le cadre d’une projet de réforme du système d’allocations chômage britannique.

Et provoque la polémique.Selon ce projet, pour conserver leur allocation hebdomadaire de 65 livres sterling (75 euros), les chômeurs de longue durée devront effectuer au moins trente heures de travail gratuit par semaine au profit de la collectivité, pour une période de quatre semaines. Ils réaliseraient des travaux manuels ou d’entretien de la voirie au bénéfice de services municipaux ou associations. Ces programmes seront obligatoires, et les chômeurs qui refuseraient d’y prendre part perdraient leur allocation chômage pendant au moins 3 mois.

L’Eglise anglicane s’en mêle

Le ministre du Travail et des retraites, Iain Duncan Smith, a défendu ce mardi le projet controversé. «5 millions de personnes en âge de travailler sont au chômage, dont 1,5 million depuis dix ans», rappelle-t-il. «Demander à quelqu’un qui est sans travail depuis longtemps de participer à un programme de travail pour stimuler son estime de soi n’est pas une recette de désespoir mais une façon de réparer des vies briséees», a souligné le ministre.

Il réagit ainsi dans le «Daily Mail» aux critiques formulées par l’archevêque de Canterbury. Le chef de l’Eglise anglicane s’est dit très inquiet. «Je ne pense pas que celà soit juste», a réagi l’archevêque de Canterbury Rowan Williams. «Les gens qui se battent pour trouver du travail, et qui se battent pour un avenir sûr, sont entraînés encore plus dans une spirale d’incertitude, et même de désespoir lorsqu’ils sont mis sous pression de la sorte», a-t-il commenté.

Mardi matin, la presse conservatrice tirait à boulets rouges sur le chef de l’Eglise anglicane : «Gauchiste chevelu», s’exclame le «Daily Express», pour qui l’archevêque a «passé la plus grande partie de sa vie dans une tour d’ivoire». Le Times suggère que l’archevêque a fait preuve d’une «passion» disproportionnée sur le sujet, et qu’il est mieux inspiré lorsqu’il s’agit de questions touchant à l’église.

Leparisien.fr